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LES ROIS EN EXIL

lettres, que je ne peux pas me lasser de lire et de relire, pourquoi l’instruction de notre affaire a langui, pourquoi ces promenades de robes noires dans la citadelle, ce marchandage de nos deux vies, ces hauts, ces bas, ces attentes. Les misérables nous traitaient en otages, espérant que le roi, qui n’avait pas voulu renoncer au trône pour des centaines de millions, céderait devant le sacrifice de deux de ses fidèles. Et tu t’irrites, ma chérie, tu t’étonnes, aveuglée par ta tendresse, que mon père n’ait pas dit un mot en faveur de son fils. Mais un Rosen pouvait-il commettre cette lâcheté !… Il ne m’en aime pas moins, le pauvre vieux, et ma mort sera pour lui un coup terrible. Quant à nos souverains que tu accuses de cruauté, nous n’avons pas pour les juger ce haut point de vue qui leur sert à gouverner les hommes. Ils ont des devoirs, des droits en dehors de la règle commune. Ah ! que Méraut te dirait là-dessus de belles choses ! Moi je les sens, mais je ne peux pas les exprimer. Tout reste là, sans sortir. J’ai la mâchoire trop lourde. Que de fois cela m’a gêné devant toi que j’aime tant, à qui je n’ai jamais su bien le dire ! Même ici, séparés par tant de lieues et de si gros barreaux de fer, l’idée de tes jolis yeux gris parisiens, de ta bouche de malice au-dessous de ton petit nez qui se fronce pour me railler, m’intimide, me paralyse.