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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/397

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LES ROIS EN EXIL

— Tiens ! lis…

Elle prit le parchemin, le déplia lentement :

— Ainsi, c’est vrai, mon Christian, tu as renoncé ?

— Mieux que cela…

Et pendant qu’elle parcourait le texte de l’acte, lui, debout, frisait sa moustache, regardait Séphora d’un air triomphant ; puis, trouvant qu’elle ne comprenait pas bien, pas assez vite, il lui expliquait la différence du renoncement à l’abdication, et qu’il serait tout aussi libre, dégagé de devoirs et de responsabilités, sans engager en rien l’avenir de son fils. L’argent seul… Mais ils n’avaient pas besoin de tant de millions pour être heureux.

Elle ne lisait plus, l’écoutait, la bouche entr’ouverte, ses jolies dents à l’air avec un sourire aigu comme si elle voulait mieux saisir ce qu’il disait. Elle avait bien compris pourtant, oh ! oui, voyait très net l’écroulement de toutes leurs ambitions et des piles de louis engagés déjà dans l’affaire, la colère de Leemans, de Pichery, de toute la bande volée par la fausse manœuvre de ce nigaud. Elle songeait à tant de sacrifices inutiles, à ses six mois de vie assommante, écœurée de dissimulations et de fadeurs, à son pauvre Tom en train de retenir son souffle dans le cabinet de toilette, pendant que l’autre en face d’elle attendait une explosion de tendresse, sûr d’être aimé, vainqueur,