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LES ROIS EN EXIL

un changement s’était fait depuis l’abdication. Pour cette superstitieuse du droit divin, désormais le titre de roi protégeait l’enfant, devait le défendre. Sa tendresse, toujours aussi forte et profonde, n’avait plus ses manifestations matérielles, ses explosions de caresses ; et si, le soir, elle entrait toujours dans la chambre, ce n’était plus pour « voir coucher Zara », le border dans son lit. Un valet de chambre avait maintenant la charge de tous ces soins, comme si Frédérique craignait d’amollir son fils, de retarder ses volontés d’homme en le gardant dans ses mains trop douces. Elle venait seulement pour lui entendre dire cette belle prière tirée du « Livre des Rois » que le Père Alphée lui avait apprise :

« Seigneur, qui êtes mon Dieu, vous avez mis sur le trône votre serviteur ; mais je suis un enfant qui ne sais pas me conduire et qui suis chargé du peuple que vous avez choisi. Donnez-moi donc la sagesse et l’intelligence… »

La petite voix du prince s’élevait, ferme et claire, nuancée d’autorité, d’une conviction attendrissante si l’on songeait à l’exil, au coin de banlieue indigente, à l’éloignement, par delà les mers, de ce trône hypothétique. Mais pour Frédérique, son Léopold régnait déjà, et elle mettait dans son baiser du soir une fierté asservie, une adoration, un respect indéfinissables qui rappelaient à Élisée, quand il surprenait