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LES ROIS EN EXIL

rière, un paquet de livres et de revues sous le bras, errer par le Quartier, sous les galeries de l’Odéon, au quai Voltaire, penché sur l’odeur des imprimés neufs et les cases grossières de la littérature au rebut, lisant dans la rue, dans les allées du Luxembourg, ou gesticulant appuyé à quelque statue du jardin par un froid terrible, en face du bassin gelé. Dans ce milieu d’étude et de jeunesse intelligente que les démolisseurs n’ont pu atteindre ni tout à fait chasser, il retrouvait sa verve et sa fougue. Seulement ce n’étaient plus les mêmes auditeurs, car le flot d’étudiants change et se renouvelle en ce quartier de passage. Les réunions s’étaient déplacées aussi, les cafés politiques désertés pour ces brasseries dont le service est fait par des filles en costumes : Suissesses, Italiennes, Suédoises, aux pimpants oripeaux que drape quelque dessinateur en vogue. Des anciens rivaux d’Élisée, des beaux orateurs de son temps, et du Pesquidoux du Voltaire, et du Larminat du Procope, il ne restait plus qu’un vague souvenir dans la mémoire des garçons, comme d’acteurs disparus de la rampe. Quelques-uns étaient montés très haut, au pouvoir, dans la vie publique ; et parfois quand Élisée s’en allait lisant le long des boutiques, les cheveux au vent, d’une voiture qui le dépassait quelque illustre de la Chambre ou du Sénat l’appelait : « Méraut ! Méraut ! » On causait… « Que fais--