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LES ROIS EN EXIL

une de ces blessures d’enfance qui marquent pour toute la vie sur l’épiderme tendre, et comme Élisée, devenu homme, en montrait encore à la tempe et au coin des lèvres.

Oh ! ces moulins à vent, la mère les maudissait, quand son petit lui revenait au jour tombant, tout en sang et en loques. Le père, lui, grondait pour la forme, par habitude, pour ne pas laisser rouiller son tonnerre ; mais à table, il se faisait raconter les péripéties de la bataille et le nom des combattants :

— Tholozan !… Tholozan !… il y en a donc encore de cette race !… Ah ! le gueusard. J’ai tenu le père au bout de mon fusil en 1815, j’aurais bien mieux fait de le coucher.

Et alors une longue histoire racontée dans le patois languedocien, imagé et brutal, et qui ne fait grâce ni d’une phrase ni d’une syllabe, du temps où il était allé s’enrôler dans les verdets du duc d’Angoulême, un grand général, un saint…

Ces récits entendus cent fois, mais variés par la verve paternelle, restaient dans l’âme d’Élisée aussi profondément que les coups de pierre des moulins sur son visage. Il vivait dans une légende royaliste dont la Saint-Henri, le 21 janvier, étaient les dates commémoratives, dans la vénération de princes martyrs bénissant la foule avec des doigts d’évêques, de princesses intrépides montant à cheval pour la bonne