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LES ROIS EN EXIL

le Midi français au fond de ses emportements, sentit vite ce qu’il y avait d’égoïste, de maté chez ces gens-là. Selon eux, rien à faire pour le moment ; attendre, se calmer surtout, se garder des entraînements et des inconséquences juvéniles. « Voyez Monseigneur… quel exemple il nous donne ! » Et ces conseils de sagesse, de modération, allaient bien avec les vieux hôtels du Faubourg, ouatés de lierre, sourds au train de la rue, capitonnés de confort et de paresse derrière leurs portes massives lourdes du poids des siècles et des traditions. On l’invita par politesse à deux ou trois réunions politiques qui se tenaient en grand mystère, avec toutes sortes de peurs et de précautions, au fond d’un de ces anciens nids à rancunes. Il vit là les grands noms des guerres vendéennes et des fusillades de Quiberon, tout le vocable funèbre inscrit au champ des martyrs, portés par de bons vieux messieurs près rasés, veloutés de drap fin comme des prélats, la parole douce, toujours empoissée de quelque jujube. Ils arrivaient avec des airs de conspirateurs, ayant tous la prétention d’être filés par la police, laquelle en vérité s’amusait beaucoup de ces rendez-vous platoniques. Le whist installé sous la lumière discrète des hautes bougies à abat-jour, les crânes penchés, luisant comme les jetons, quelqu’un donnait des nouvelles de Frohsdorf, on admirait l’inaltérable patience des exilés, en