Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1873.djvu/33

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les Prussiens bien en face, d’un air de dire : « Essayez donc de venir me le prendre !… »

Personne ne l’essaya, pas même la mort. Après Borny, après Gravelotte, les batailles les plus meurtrières, le drapeau s’en allait de partout, haché, troué, transparent de blessures ; mais c’était toujours le vieil Hornus qui le portait.

III.

Puis septembre arriva, l’armée sous Metz, le blocus, et cette longue halte dans la boue où les canons se rouillaient, où les premières troupes du monde, démoralisées par l’inaction, le manque de vivres, de nouvelles, mouraient de fièvre et d’ennui au pied de leurs faisceaux. Ni chefs ni soldats, personne ne croyait plus ; seul, Hornus avait encore confiance. Sa loque tricolore lui tenait lieu de tout, et tant qu’il la sentait là, il lui semblait que rien n’était perdu. Malheureusement, comme on ne se battait plus, le colonel gardait le drapeau chez lui dans un des faubourgs de Metz ; et le brave Hornus était à peu près comme un mère qui a son enfant en nourrice. Il y pensait sans cesse. Alors, quand l’ennui le tenait trop fort, il s’en allait à Metz tout d’une course, et rien que de l’avoir vu toujours