Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/100

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beaucoup de monde. Les dames de Tarascon n’en manquaient pas une, et même les dames de Beaucaire passaient quelquefois le pont pour venir admirer nos lapins. Pendant ce temps, les pauvres gardes nationaux de choux faisaient modestement le service de la ville et montaient la garde devant le musée, où il n’y avait rien à garder qu’un gros lézard empaillé avec de la mousse et deux fauconneaux du temps du bon roi René. Pensez que les dames de Beaucaire ne passaient pas le pont pour si peu… Pourtant, après trois mois d’exercice à feu, lorsqu’on s’aperçut que les gardes nationaux de garenne ne bougeaient toujours pas de l’Esplanade, l’enthousiasme commença à se refroidir.

Le brave général Bravida avait beau crier à ses lapins : « Couchez-vous ! levez-vous ! » personne ne les regardait plus. Bientôt ces petites guerres furent la fable de la ville. Dieu sait cependant que ce n’était pas leur faute à ces malheureux lapins si on ne les faisait pas partir. Ils en étaient assez furieux. Un jour, même, ils refusèrent de faire l’exercice.

« Plus de parade ! criaient-ils en leur zèle patriotique ; nous sommes de marche ; qu’on nous fasse marcher !

— Vous marcherez ou j’y perdrai mon nom ! » leur dit le brave général Bravida. Et, tout bouf-