Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/127

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tout, je leur trouve cette physionomie épouvantable…

La maison où je suis entré pour me sécher était bien le type d’une de ces maisons-là. Je suis monté au premier étage dans un petit salon rouge et or. On n’avait pas fini de poser la tapisserie. Il y avait encore par terre des rouleaux de papier et des bouts de baguettes dorées ; du reste, pas trace de meubles, rien que des tessons de bouteilles, et dans un coin une paillasse où dormait un homme en blouse. Sur tout cela, une vague odeur de poudre, de vin, de chandelle, de paille moisie… Je me chauffe avec un pied de guéridon devant une cheminée bête, en nougat rose. Par moments, quand je la regarde, il me semble que je passe un après-midi de dimanche à la campagne chez de bons petits bourgeois. Est-ce qu’on ne joue pas au jacquet derrière moi, dans le salon ?… Non ! ce sont des francs-tireurs qui chargent et déchargent leurs chassepots. Détonation à part, c’est tout à fait le bruit du trictrac… À chaque coup de feu, on nous répond de la rive en face. Le son porté sur l’eau ricoche et roule sans fin entre les collines.

Par les meurtrières du salon, on voit la Marne qui reluit, la berge pleine de soleil, et des Prussiens qui détalent comme de grands lévriers à travers les échalas de vignes.