Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/137

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ique que me firent ces petits gnomes ; ils paraissaient si vieux, si las, si éperdus ! Ils avaient l’air de venir de si loin ! Je me figurais une patrouille fantôme errant à travers champs depuis 1848, et cherchant son chemin depuis vingt-trois ans.

Les insurgés du faubourg Saint-Antoine m’ont rappelé cette apparition. J’ai trouvé là les anciens de 48, égarés éternels, vieillis, mais incorrigibles, l’émeutier en cheveux blancs, et avec lui le vieux jeu de la bataille civile, la barricade classique à deux et à trois étages, le drapeau rouge flottant au sommet, les poses mélodramatiques sur la culasse des canons, les manches retroussées, les mines rébarbatives :

« Circulez, citoyens ! » et tout de suite la baïonnette croisée…

Et quel train, quelle agitation dans ce grand faubourg de Babel ! Du Trône à la Bastille, ce ne sont qu’alertes, prises d’armes, perquisitions, arrestations, clubs en plein vent, pèlerinages à la colonne, patrouillards en goguette qui ont perdu le mot d’ordre, chassepots qui partent tout seuls, ribaudes qu’on emmène au comité de la rue Basfroid, et le rappel, et la générale, et le tocsin. Oh ! le tocsin ; s’en donnent-ils, ces enragés, de secouer leurs cloches ! Dès que le jour tombe, les clochers deviennent fous et