Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/148

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C’est qu’il en pleuvait du fer sur ce talus ! On n’entendait que le crépitement de la fusillade, le bruit sourd des gamelles roulant dans le fossé et les balles qui vibraient longuement d’un bout à l’autre du champ de bataille, comme les cordes tendues d’un instrument sinistre et retentissant. De temps en temps le drapeau qui se dressait au-dessus des têtes, agité au vent par la mitraille, sombrait dans la fumée : alors une voix s’élevait grave et fière, dominant la fusillade, les râles, les jurons des blessés : « Au drapeau, mes enfants, au drapeau !… » Aussitôt un officier s’élançait, vague comme une ombre dans ce brouillard rouge, et l’héroïque enseigne, redevenue vivante, planait encore au-dessus de la bataille.

Vingt-deux fois elle tomba !… Vingt-deux fois sa hampe encore tiède, échappée à une main mourante, fut saisie, redressée ; et lorsqu’au au soleil couché, ce qui restait du régiment — à peine une poignée d’hommes — battit lentement en retraite, le drapeau n’était plus qu’une guenille aux mains du sergent Hornus, le vingt-troisième porte-drapeau de la journée.