Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/162

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À partir de ce moment, Chauvin ne m’apparut plus qu’à de longs intervalles. Deux ou trois fois je l’aperçus sur le boulevard, gesticulant, parlant de la revanche — encore un r à faire vibrer ; mais personne ne l’écoutait plus. Paris gandin languissait de retourner à ses plaisirs, Paris ouvrier à ses colères, et le pauvre Chauvin avait beau faire ses grands bras, les groupes, au lieu de se serrer, se dispersaient à son approche.

« Gêneur », disaient les uns.

« Mouchard ! » disaient les autres… Puis, les jours d’émeute arrivèrent, le drapeau rouge, la Commune, Paris au pouvoir des nègres. Chauvin, devenu suspect, ne put plus sortir de chez lui. Pourtant, le fameux jour du déboulonnage, il devait être là, dans un coin de la place Vendôme. On le devinait au milieu de la foule. Les voyous l’insultaient sans le voir.

« Ohé, Chauvin !… » criaient-ils ; et lorsque la colonne tomba, des officiers prussiens, qui buvaient du champagne à une fenêtre de l’état-major, levèrent leurs verres en ricanant : « Ah ! ah ! ah ! Mossié Chaufin. »

Jusqu’au 23 mai, Chauvin ne donna plus signe de vie. Blotti au fond d’une cave, le malheureux se désespérait d’entendre les obus français siffler sur les toits de Paris. Un jour