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Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/200

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contre la Prusse qui continuait avec je ne sais quoi de plus vivant, de plus libre, ce déserteur sans le savoir se mêla naïvement à la grande bacchanale parisienne et fut une célébrité du moment. Partout, sur son passage, les fédérés l’acclamaient, lui faisaient fête. La Commune était si fière de l’avoir qu’elle le montrait, l’affichait, le portait comme une cocarde. Vingt fois par jour la Place l’envoyait à la Guerre, la Guerre à l’Hôtel de ville. Car, enfin, on leur avait tant dit que leurs marins étaient de faux marins, leurs artilleurs de faux artilleurs !… Au moins, celui-là était bien un vrai turco. Pour s’en convaincre, on n’avait qu’à regarder cette frimousse éveillée de jeune singe, et toute la sauvagerie de ce petit corps s’agitant sur son grand cheval, dans les voltiges de la fantasia.

Quelque chose pourtant manquait au bonheur de Kadour. Il aurait voulu se battre, faire parler la poudre. Malheureusement, sous la Commune, c’était comme sous l’Empire, les états-majors n’allaient pas souvent au feu. En dehors des courses et des parades, le pauvre turco passait son temps sur la place Vendôme ou dans les cours du ministère de la Guerre, au milieu de ces camps désordonnés pleins de barils d’eau-de-vie toujours en perce, de tonnes de lard défoncées, de ripailles en plein vent