Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/202

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de la rue de Rivoli, des vengeurs de Flourens l’appelèrent : « Hé ! turco ! turco !… » Ils n’étaient plus qu’une douzaine, mais Kadour, à lui seul, valait toute une armée.

Debout sur la barricade, fier et voyant comme un drapeau, il se battait avec des bonds, des cris, sous une grêle de mitraille. À un moment, le rideau de fumée qui s’élevait de terre s’écarta un peu entre deux canonnades et lui laissa voir des pantalons rouges massés dans les Champs-Élysées. Ensuite tout redevint confus. Il crut s’être trompé et fit parler la poudre de plus belle.

Tout à coup, la barricade se tut. Le dernier artilleur venait de s’enfuir en lâchant sa dernière volée. Le turco, lui, ne bougea pas. Embusqué, prêt à bondir, il ajusta solidement sa baïonnette et attendit les casques à pointes… C’est la ligne qui arriva !… Dans le bruit sourd du pas de charge, les officiers criaient :

« Rendez-vous !… »

Le turco eut une minute de stupeur, puis s’élança le fusil en l’air :

Bono, bono, Francèse !…

Vaguement, dans son idée de sauvage, il se figurait que c’était là cette armée de délivrance, Faidherbe ou Chanzy, que les Parisiens attendaient depuis si longtemps. Aussi comme il était heureux, comme il leur riait de toutes ses