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Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/206

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abruties par l’ivresse, le froid, la fatigue et ce mauvais sommeil debout qui fane et qui pâlit. Dans un coin, la cantinière dormait, la bouche ouverte, pelotonnée sur un banc devant sa petite table chargée de bouteilles vides et de verres troubles.

On chantait.

À tour de rôle, messieurs les amateurs montaient sur une estrade improvisée au fond de la salle, et se posaient, déclamaient, se drapaient dans leurs couvertures avec des souvenirs de mélodrames. Je retrouvai là ces voix ronflantes, roulantes, qui résonnent au fond des passages, des cités ouvrières toutes pleines de tapages d’enfants, de cages pendues, d’échoppes bruyantes. Cela est charmant à entendre, mêlé au bruit des outils, avec l’accompagnement du marteau et de la varlope ; mais là, sur cette estrade, c’était ridicule et navrant.

Nous eûmes d’abord l’ouvrier penseur, le mécanicien à longue barbe, chantant les douleurs du prolétaire. Pauvro prolétairo… o… o… avec une voix de gorge, où la sainte Internationale avait mis toutes ses colères. Puis il en vint un autre, à moitié endormi, qui nous chanta la fameuse chanson de la Canaille, mais d’un air si ennuyé, si lent, si dolent, qu’on aurait dit une berceuse… C’est la canaille… Eh bien !… j’en suis… Et, pendant qu’il psalmo-