Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/236

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avec cela notre pain à gagner et des mains qui ne savaient rien faire. Pendant quelque temps, on nous a rencontrées dans les forêts traînant des charges de bois mort ou ramassant des glands au bord des routes. Mais les forestiers étaient durs pour nous, les paysans nous jetaient des pierres. Alors, comme les pauvres qui ne trouvent plus à gagner leur vie au pays, nous sommes allées la demander au travail des grandes villes.

« Il y en a qui sont entrées dans des filatures. D’autres ont vendu des pommes, l’hiver, au coin des ponts ou des chapelets à la porte des églises. Nous poussions devant nous des charrettes d’oranges, nous tendions aux passants des bouquets d’un sou dont personne ne voulait, et les petits se moquaient de nos mentons branlants, et les sergents de ville nous faisaient courir, et les omnibus nous renversaient. Puis la maladie, les privations, un drap d’hospice sur la tête… Et voilà comme la France a laissé toutes ses fées mourir. Elle en a été bien punie !

« Oui, oui, riez, mes braves gens. En attendant, nous venons de voir ce que c’est qu’un pays qui n’a plus de fées. Nous avons vu tous ces paysans repus et ricaneurs ouvrir leurs huches aux Prussiens et leur indiquer les routes. Voilà ! Robin ne croyait plus aux sortilèges ;