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Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/255

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Girardin !

C’est bien le nom qui vient toujours à la bouche des visionnaires. Quand on le prononce devant moi, ce nom, il me semble voir des quartiers neufs, de grandes bâtisses inachevées, des journaux tout frais imprimés, avec des listes d’actionnaires et d’administrateurs. Que de fois j’ai entendu dire, à propos de projets insensés : « Il faudra parler de ça à Girardin !… »

Et lui aussi, le pauvre diable, cette idée lui était venue de parler de ça à Girardin. Toute la nuit, il avait dû préparer son plan, aligner des chiffres ; puis il était sorti, et en marchant, en s’agitant, l’affaire était devenue si belle, qu’au moment de notre rencontre il lui paraissait impossible que Girardin lui refusât ses trois cent mille francs. En disant qu’on les lui avait promis, le malheureux ne mentait pas, il ne faisait que continuer son rêve.

Pendant qu’il me parlait, nous étions bousculés, poussés contre le mur. C’était sur le trottoir d’une de ces rues si agitées qui vont de la Bourse à la Banque, pleines de gens pressés, distraits, tout à leurs affaires : boutiquiers anxieux courant retirer leurs billets, petits boursiers à figures basses qui se jettent des chiffres à l’oreille en passant. Et d’entendre tous ces beaux projets au milieu de cette foule,