Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/259

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dinaire cependant, le passage était assez tranquille. Ces errants de la rue ne rentraient qu’à la brune, et si las ! Il n’y avait de tapage que le samedi, lorsque Arthur touchait sa paye.

C’était mon voisin, cet Arthur. Un petit mur allongé d’un treillage séparait seul mon pavillon du garni qu’il habitait avec sa femme. Aussi, bien malgré moi, sa vie se trouvait-elle mêlée à la mienne ; et, tous les samedis, j’entendais, sans en rien perdre, l’horrible drame si parisien qui se jouait dans ce ménage d’ouvriers. Cela commençait toujours de la même façon. La femme préparait le dîner ; les enfants tournaient autour d’elle. Elle leur parlait doucement, s’affairait. Sept heures, huit heures : personne… À mesure que le temps passait, sa voix changeait, roulait des larmes, devenait nerveuse. Les enfants avaient faim, sommeil, commençaient à grogner. L’homme n’arrivait toujours pas. On mangeait sans lui. Puis, la marmaille couchée, le poulailler endormi, elle venait sur le balcon de bois, et je l’entendais dire tout bas en sanglotant :

« Oh ! la canaille ! la canaille ! »

Des voisins qui rentraient la trouvaient là. On la plaignait.

« Allez donc vous coucher, madame Arthur. Vous savez bien qu’il ne rentrera pas, puisque c’est le jour de paye. »