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Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/338

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Le jour tombait. Les coups de fusil s’éloignaient, devenaient plus rares. Puis tout s’éteignit… C’était fini. Alors nous revînmes tout doucement vers la plaine, pour avoir des nouvelles de notre compagnie. En passant devant la petite maison du bois, je vis quelque chose d’épouvantable.

Au rebord d’un fossé, les lièvres au poil roux, les petits lapins gris à queue blanche, gisaient à côté les uns des autres. C’étaient des petites pattes jointes par la mort, qui avaient l’air de demander grâce, des yeux voilés qui semblaient pleurer ; puis des perdrix rouges, des perdreaux gris, qui avaient le fer à cheval comme mon camarade, et des jeunes de cette année qui avaient encore comme moi du duvet sous leurs plumes. Savez-vous rien de plus triste qu’un oiseau mort ? C’est si vivant, des ailes ! De les voir repliées et froides, ça fait frémir… Un grand chevreuil superbe et calme paraissait endormi, sa petite langue rose dépassant la bouche comme pour lécher encore.

Et les chasseurs étaient là, penchés sur cette tuerie, comptant et tirant vers leurs carniers les pattes sanglantes, les ailes déchirées sans respect pour toutes ces blessures fraîches. Les chiens, attachés pour la route, fronçaient encore leurs babines en arrêt, comme s’ils s’apprêtaient à s’élancer de nouveau dans les taillis.