Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/34

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de cuir. Alors il comprend qu’il est là comme au pilori, et qu’on a mis le pilori aussi haut pour que sa honte se vît de plus loin… Et le défilé continue, village par village, ceux de la frontière suisse menant d’immenses troupeaux, ceux de la Saar poussant leurs durs outils de fer dans des wagons à minerais. Puis les villes arrivent, tout le peuple des filatures, les tanneurs, les tisserands, les ourdisseurs, les bourgeois, les prêtres, les rabbins, les magistrats, des robes noires, des robes rouges… Voilà le tribunal de Colmar, son vieux président en tête. Et Dollinger, mourant de honte, essaie de cacher sa figure, mais ses mains sont paralysées ; de fermer les yeux, mais ses paupières restent immobiles et droites. Il faut qu’il voie et qu’on le voie, et qu’il ne perde pas un des regards de mépris que ses collègues lui jettent en passant…

Ce juge au pilori, c’est quelque chose de terrible ! Mais ce qui est plus terrible encore, c’est qu’il a tous les siens dans cette foule, et que pas un n’a l’air de le reconnaître. Sa femme, ses enfants passent devant lui en baissant la tête. On dirait qu’ils ont honte, eux aussi ! Jusqu’à son petit Michel qu’il aime tant, et qui s’en va pour toujours, sans seulement le regarder. Seul, son vieux président s’est arrêté une minute pour lui dire à voix basse :