Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/347

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Paris comme à Munich. Vraiment c’était un couple original et sympathique, et nous eûmes bientôt fait de devenir grands amis. Le bonhomme, voyant le goût que je prenais à l’entendre parler du Japon, m’avait demandé de revoir son mémoire, et je m’étais empressé d’accepter autant par amitié pour ce vieux Sinbad que pour m’enfoncer plus avant dans l’étude du beau pays dont il m’avait communiqué l’amour. Ce travail de révision ne se fit pas sans peine. Tout le mémoire était écrit dans le français bizarre que parlait M. de Sieboldt : « Si j’aurais des actionnaires… si je réunirais des fonds… » et ces renversements de prononciation qui lui faisaient dire régulièrement « les grandes boîtes de l’Asie », pour « les grands poètes de l’Asie », et « le Chabon » pour « le Japon »… Joignez à cela des phrases de cinquante lignes, sans un point, sans une virgule, rien pour respirer, et cependant si bien classées dans la cervelle de l’auteur, qu’en ôter un seul mot lui paraissait impossible, et que s’il m’arrivait d’enlever une ligne d’un côté, il la transportait bien vite un peu plus loin… C’est égal ! ce diable d’homme était si intéressant avec son Chabon, que j’oubliais l’ennui du travail ; et lorsque la lettre d’audience arriva, le mémoire tenait à peu près sur ses pieds.