Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/117

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il l’accablait de prévenances et de flatteries ; car il allait avoir besoin de lui.

Fatigué d’attendre le directeur intelligent, ne voyant jamais venir le rôle qu’il espérait depuis tant d’années, Delobelle avait eu l’idée d’acheter un théâtre et de l’exploiter lui-même. Il comptait sur Risler pour les fonds. Tout juste il se trouvait sur le boulevard du Temple un petit théâtre à vendre, par suite de la faillite de son directeur. Delobelle en parla à Risler, d’abord très vaguement, sous une forme tout à fait hypothétique : « Il y aura un bon coup à faire… » Risler écoutait avec son flegme habituel, disant : « En effet, ce serait très bon pour vous. » Puis à une ouverture plus directe, n’osant pas répondre « non », il s’était réfugié derrière des « je verrai… plus tard… je ne dis pas »… et finalement avait prononcé cette parole malheureuse : « Il faudrait voir les devis ».

Pendant huit jours, le comédien avait pioché, fait des plans, aligné des chiffres, assis entre ses deux femmes qui le regardaient avec admiration et se grisaient de ce nouveau rêve. Dans la maison, on disait : « M. Delobelle va acheter un théâtre ». Sur le boulevard, dans les cafés d’acteurs, il n’était bruit que de cette acquisition, Delobelle ne cachait pas qu’il avait trouvé un bailleur de fonds, et cela lui valait d’être entouré d’une foule de comédiens sans emploi, de vieux camarades qui venaient lui taper familièrement sur l’épaule, se rappeler à lui. « Tu sais, ma vieille… » Il promettait des engagements, déjeunait au café, y écrivait des lettres, saluait du bout des doigts les gens qui entraient,