Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/120

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vides à côté l’un de l’autre, destinés au même absent, avaient un air de défi. Et Risler qui n’arrivait pas. Les deux buveurs silencieux s’impatientaient, s’agitaient sur le divan, espérant toujours que l’un des deux se lasserait. À la fin, leur mauvaise humeur déborda, et, naturellement, c’est le pauvre Risler qui reçut tout.

– Quelle inconvenance ! faire attendre si longtemps un homme de mon âge, commença M Chèbe qui n’invoquait jamais son grand âge que dans ces circonstances-là.

M. Delobelle reprit :

– Je crois, en effet, qu’on se moque de nous.

Et l’autre.

– Monsieur avait sans doute du monde à dîner.

– Et quel monde !… fit d’un ton méprisant l’illustre Delobelle, en qui des souvenirs cuisants se réveillaient.

– Le fait est… continua M. Chèbe.

Ils se rapprochèrent et on causa. Tous deux en avaient gros sur le cœur à propos de Risler et de Sidonie. Ils s’épanchèrent. Ce Risler avec ses airs bon enfant, n’était au fond qu’un égoïste, un parvenu. Ils se moquaient de son accent, de sa tournure, imitaient certaines de ses manies. Ensuite, ils parlèrent de son ménage, et, baissant la voix, se faisaient des confidences, riaient familièrement, redevenus amis.

M. Chèbe allait très loin :

– Et qu’il prenne garde ! il a fait la sottise de laisser le père et la mère s’éloigner