Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/191

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de grand vent qui suit les longues traversées, il rêva du temps de sa jeunesse, de la petite Chèbe, de Désirée Delobelle, de leurs jeux, de leurs travaux, de l’École Centrale dont les grands bâtiments dormaient tout près de lui, mornes, dans les rues noires du Marais. Puis, le matin venu, comme la lumière tombant des fenêtres sans rideau tourmentait ses yeux et lui ramenait le sentiment du devoir et des préoccupations de la journée, il rêva que c’était l’heure d’aller à l’École et que son frère, avant de descendre à la fabrique, entrouvrait la porte pour lui crier :

« Allons ! paresseux, allons !… »

Cette bonne voix aimante, trop vivante, trop réelle pour le rêve, lui fit ouvrir les yeux tout à fait.

Risler était debout près de son lit, guettait son réveil avec un adorable sourire un peu ému, et la preuve que c’était bien Risler, c’est que dans sa joie de revoir son frère Frantz, il ne trouvait rien de mieux à dire que : « Je suis content… Je suis content… »

Quoique ce jour-là fût un dimanche, Risler, selon son habitude, était venu à la fabrique profiter du silence et de la tranquillité pour travailler à son imprimeuse. Sitôt en arrivant, le père Achille lui avait appris que son frère était descendu rue de Braque, et il accourait joyeux, surpris, un peu vexé de n’avoir pas été averti d’avance et surtout que Frantz l’eût privé de la première soirée du retour. Ce regret revenait à chaque instant dans sa causerie à bâtons rompus, où tout ce qu’il avait à dire demeurait inachevé, interrompu par mille questions