Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/213

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chaque pas pour ramener dans leur ordre habituel les brides dénouées de son chapeau et les dentelles de son châle, son beau châle de la noce de Sidonie.

Il était soûl de joie, ce pauvre Risler.

Pour Frantz, ce fut une longue et inoubliable journée d’angoisses. Promenade en voiture, promenade sur l’eau, goûter sur l’herbe dans l’île des Ravageurs, on ne lui épargna aucun des charmes d’Asnières ; et tout le temps, au grand soleil de la route, à la réverbération des vagues, il fallait rire, bavarder, raconter son voyage, parler de l’isthme de Suez, des travaux entrepris, écouter les plaintes secrètes de M. Chèbe, toujours furieux contre ses enfants, les détails de son frère sur l’Imprimeuse. Rotative, mon petit Frantz, rotative et dodécagone ! Sidonie laissait ces messieurs causer entre eux et semblait absorbée dans des réflexions profondes. De temps en temps, elle jetait un mot, un sourire triste à madame Dobson, et Frantz, sans oser la regarder elle-même, suivait les mouvements de son ombrelle doublée de bleu, le floconnement de sa robe…

Combien elle avait changé en deux ans ! Comme elle était devenue belle !…

Puis il lui venait d’horribles pensées. Il y avait courses à Longchamp ce jour-là. Des voitures passaient auprès de la leur, la frôlaient, conduites par des femmes aux visages peints serrés dans des voiles étroits. Immobiles sur leur siège, elles tenaient leur grand fouet bien droit avec des gestes de poupée, et rien ne paraissait vivant en elles que leurs yeux charbonnés, fixés à la