Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/240

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– Non, monsieur Frantz, personne que je sache.

Et les chevaux entrèrent dans l’eau jusqu’au poitrail en faisant jaillir l’écume. Alors Frantz se décida à sonner à la petite porte. On ratissait les allées du jardin. La maison était en rumeur ; et, malgré l’heure matinale, il entendit la voix de Sidonie claire et vibrante comme un chant d’oiseau dans les rosiers de la façade. Elle parlait avec animation. Frantz, très ému, s’approcha pour écouter.

– Non, pas de crème… Le parfait suffira…, Surtout qu’il soit bien glacé, et pour sept heures… Ah ! et comme entrée… voyons un peu.

Elle était en grande conférence avec sa bonne pour son fameux dîner du lendemain. La brusque apparition de son beau-frère ne la dérangea pas :

– Ah ! bonjour, Frantz, lui dit-elle bien tranquillement… Je suis à vous tout à l’heure. Nous avons du monde à dîner demain, des clients de la maison, un grand dîner d’affaires… Vous permettez, n’est-ce pas ?

Fraîche, souriante, dans les ruches blanches de son peignoir traînant et de son petit bonnet de dentelles, elle continua à composer son menu, en aspirant l’air frais qui montait de la prairie et de la rivière. Il n’y avait pas sur ce visage reposé la moindre trace de chagrin ou d’inquiétude. Son front uni, cet étonnement charmant du regard qui si longtemps devait la garder jeune, sa lèvre entr’ouverte et rose faisaient un étrange contraste avec la figure de l’amant, décomposée par sa nuit d’angoisse et de fatigue.