Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/252

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ouvre l’armoire, en tire un petit châle dont elle s’enveloppe ; puis elle part.

Quoi ? Pas un regard à sa mère, pas un adieu muet, pas un attendrissement ?… Non, rien. Avec l’effroyable lucidité de ceux qui vont mourir, elle a compris tout à coup à quel amour égoïste son enfance et sa jeunesse ont été sacrifiées. Elle sent très bien qu’un mot de leur grand homme consolera cette femme endormie, à qui elle en veut presque de ne pas se réveiller, de la laisser partir ainsi sans un frisson de ses paupières baissées.

Quand on meurt jeune, même volontairement, ce n’est jamais sans révolte, et la pauvre Désirée sort de la vie, indignée contre son destin.

La voilà dans la rue. Où va-t-elle ? Tout est déjà désert. Ces quartiers, si animés le jour, s’apaisent le soir de bonne heure. On y travaille trop pour ne pas y dormir vite. Pendant que le Paris des boulevards, encore plein de vie, fait planer sur la vie entière le reflet rose d’un lointain incendie, ici toutes les grandes portes sont fermées, les volets mis aux boutiques et aux fenêtres. De temps en temps un marteau attardé, la promenade d’un sergent de ville qu’on entend sans le voir, le monologue d’un ivrogne coupé par les écarts de sa marche, troublent le silence, ou bien un coup de vent subit, venu des quais voisins, fait claquer la vitre d’un réverbère, la vieille corde d’une poulie s’abat au détour d’une rue, s’éteint avec un sifflement sous un seuil mal joint.

Désirée marche vite, serrée dans son petit châle, la