Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/269

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si la nature dans sa hâte s’en était tenue à une couleur uniforme.

– Oh ! c’est trop… c’est trop… je me fâcherai, disait chaque fois la petite malade, en le voyant entrer triomphalement son bouquet à la main ; mais il prenait un air si grand seigneur pour répondre : « Laisse donc… laisse donc… » qu’elle n’osait pas insister.

Pourtant, c’était une grosse dépense, et la mère avait tant de mal à leur gagner la vie à tous… Bien loin de se plaindre, la maman Delobelle trouvait cela très beau de la part de son grand homme. Ce dédain de l’argent, cette insouciance superbe la remplissaient d’admiration, et plus que jamais elle croyait au génie, à l’avenir théâtral de son mari.

Lui aussi gardait, au milieu des événements, une confiance inaltérable. Peu s’en fallut cependant que ses yeux ne s’ouvrissent enfin à la vérité. Peu s’en fallut qu’une petite main brûlante, en se posant sur ce crâne solennel et illusionné, n’en fit sortir le hanneton qui bourdonnait là depuis si longtemps. Voici comment la chose se passa : Une nuit, Désirée se réveilla en sursaut dans un état bien singulier. Il faut dire que la veille le médecin, en venant la voir, avait été très surpris de la trouver subitement ranimée et plus calme, avec toute sa fièvre tombée. Sans s’expliquer le pourquoi de cette résurrection inespérée, il était parti en disant : « attendons », se fiant à ces prompts ressauts de la jeunesse, à cette force de sève qui greffe souvent une nouvelle vie sur les symptômes