Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/292

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« L’échéance !… l’échéance !… »

Cette fois, c’était dans la cheminée de M. Chèbe que le petit homme bleu jetait en passant son cri sinistre. Il faut vous dire que M. Chèbe, depuis quelque temps, s’était lancé dans des entreprises considérables, un commerce « debout » très vague, excessivement vague, qui lui dévorait beaucoup d’argent. À plusieurs reprises déjà, Risler et Sidonie avaient été obligés de payer les dettes de leur père, à la condition expresse qu’il se tiendrait tranquille, qu’il ne ferait plus d’affaires ; mais ces plongeons perpétuels étaient nécessaires à son existence. Il s’y retrempait chaque fois d’un courage nouveau, d’une activité plus ardente. Quand il n’avait pas d’argent, M. Chèbe donnait sa signature ; il en faisait même un abus déplorable, de sa signature, comptant toujours sur les bénéfices de l’entreprise pour satisfaire à ses engagements. Le diantre, c’est que les bénéfices ne se montraient jamais, tandis que les billets souscrits, après avoir circulé des mois entiers d’un bout de Paris à l’autre, revenaient au logis avec une ponctualité désespérante, tout noirs des hiéroglyphes ramassés pendant le chemin.

Justement, son échéance de janvier était très lourde, et en entendant passer le petit bonhomme bleu, il s’était rappelé tout à coup qu’il n’avait pas un sou pour payer. Ô rage ! Il allait falloir encore s’humilier devant ce Risler, courir le risque d’être refusé, avouer qu’il avait manqué à sa parole… L’angoisse du pauvre diable s’augmentait du silence de la nuit où l’œil est inoccupé, où la pensée n’a rien pour se distraire,