Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Les Chèbe étaient comme des gens logés dans une impasse. Les Delobelle habitaient une petite rue sale, noire, sans jour ni air, mais où devait passer prochainement un grand boulevard. Puis madame Chèbe ne croyait plus à son mari, tandis que par la vertu de ce seul mot magique « l’art ! » sa voisine n’avait jamais douté du sien.

Et cependant, depuis des années et des années, M. Delobelle prenait inutilement le vermout avec des agents dramatiques, l’absinthe avec des chefs de claque, le bitter avec des vaudevillistes, des dramaturges, le fameux machin auteur de plusieurs grandes machines. Les engagements ne venaient toujours pas. Si bien que, sans jouer une fois la comédie, le pauvre homme avait glissé des jeunes premiers : aux grands premiers rôles, puis aux financiers, puis aux pères nobles, puis aux ganaches…

Il s’y tenait ! À deux ou trois reprises, on lui avait procuré le moyen de gagner sa vie en essayant de le placer comme gérant d’un cercle ou d’un café, surveillant dans de grands magasins, aux Phares de la Bastille, au Colosse de Rhodes. Il suffisait pour cela d’avoir de bonnes manières, Delobelle n’en manquait pas, grands dieux !… Ce qui n’empêche pas qu’à toutes les propositions qu’on lui faisait, le grand homme opposait un refus héroïque.

– Je n’ai pas le droit de renoncer au théâtre !… disait-il.

Dans la bouche de ce pauvre diable, qui n’avait pas