Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/312

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pour les faisans de la volière, ni même pour le grand chien Kiss qui la suivait docilement, attendant une caresse qu’on ne lui donna pas. Elle était entrée comme une enfant de la maison, elle sortait en étrangère, avec des préoccupations affreuses que le moindre rappel de son passé heureux et calme n’aurait pu qu’aggraver encore.

– Adieu, grand-père.

– Adieu, alors.

Et la porte se referma brutalement sur elle. Une fois seule, elle se mit à marcher vite, vite, presque à courir. Elle ne marchait pas, elle se sauvait. Tout à coup, en arrivant au bout du mur de la propriété, elle se trouva devant cette petite porte verte entourée de glycines et de chèvrefeuilles où était la poste du château. Instinctivement elle s’arrêta, frappée par un de ces réveils subits de la mémoire qui s’effectuent en nous aux heures décisives et remettent sous nos yeux avec une grande netteté les moindres actes de notre vie ayant rapport aux catastrophes ou aux joies présentes. Était-ce le soleil oblique et rose, qui venait de se montrer subitement, rayant l’immense plaine en cet après-midi d’hiver comme en août à l’heure du couchant ? Était-ce le silence qui l’entourait, traversé seulement de ces bruits de nature, harmonieux, presque semblables dans toutes les saisons ?

Toujours est-il qu’elle se revit telle qu’elle était, à cette même place, trois ans auparavant, un jour où elle avait mis à la poste une lettre invitant Sidonie à venir passer un mois près d’elle à la campagne. Quelque