Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/322

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homme triomphait. Il lui semblait qu’il venait d’acquitter une dette, en donnant à la maison Fromont le bénéfice d’une invention nouvelle, qui devait diminuer le travail, les journées d’ouvrier, en doublant les profits et la renommée de la fabrique. Aussi il faisait de beaux rêves, je vous jure, tout en marchant. Son pas sonnait fièrement, accentué par l’allure heureuse et ferme de sa pensée. Que de projets, que d’espérances ! Il allait pouvoir remplacer le chalet d’Asnières – que Sidonie commençait à traiter de bicoque – par quelque belle campagne à dix ou quinze lieues de Paris, accorder à M. Chèbe une pension un peu plus forte, obliger plus souvent Delobelle dont la malheureuse femme se tuait de travail ; enfin, il allait pouvoir faire revenir Frantz. C’était son désir le plus cher. Sans cesse il pensait à ce pauvre enfant exilé dans un pays malsain, au bon plaisir d’une administration tyrannique qui envoyait ses employés en congé pour les rappeler presque aussitôt sans explication ; car Risler avait toujours sur le cœur le départ si prompt, si inconvenable de Frantz à son dernier voyage, et cette courte apparition de son frère qui, sans lui donner le temps de le posséder, avait ravivé tous ses souvenirs d’affection et de vie commune. Aussi comptait-il bien, quand l’imprimeuse serait lancée, trouver dans la fabrique un petit coin où Frantz pourrait s’utiliser, se préparer un avenir véritable. Comme toujours, Risler ne pensait qu’au bonheur des autres. Sa seule satisfaction égoïste était de voir chacun sourire autour de lui.