Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/345

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face… Non. Je pleurais sur notre bonheur anéanti, sur toi, sur la folie qui t’a fait perdre ta seule, ta vraie amie…

Elle était belle en parlant ainsi ; plus belle que Sidonie ne l’avait jamais été, enveloppée d’une lumière pure qui semblait tomber de très haut sur elle comme les clartés d’un ciel profond et sans nuages, tandis que les traits chiffonnés de l’autre avaient toujours l’air de tirer leur éclat, leur attrait mutin et insolent des lueurs fausses de quelque rampe de petit théâtre. Ce qu’il y avait jadis d’un peu froid et d’immobile dans la physionomie de Claire s’était animé des inquiétudes, des doutes, de toutes les tortures de la passion ; et, comme ces lingots d’or qui n’ont leur valeur que lorsque la Monnaie y a mis son poinçon, ce beau visage de femme marqué à l’effigie de la douleur avait gardé depuis la veille une expression ineffaçable qui complétait sa beauté.

Georges la regardait avec admiration. Elle lui semblait plus vivante, plus femme, et adorable de tout ce qu’il sentait maintenant de séparations et d’obstacles entre eux. Le remords, le désespoir, la honte, entrèrent dans son cœur en même temps que ce nouvel amour, et il voulut se mettre à genoux devant elle.

– Non, non, relève-toi, lui dit Claire si tu savais ce que tu me rappelles, si tu savais quel visage menteur et plein de haine j’ai vu à mes pieds cette nuit.

– Oh ! moi, je ne mens pas… répondit Georges en frémissant… Claire, je t’en supplie, au nom de notre enfant…