Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/366

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plein de tendresse, il la retrouvait le lendemain indifférente, oublieuse, et ce perpétuel besoin de la ramener lui tenait lieu de passion véritable. La sérénité en amour le laissait, comme les marins une traversée sans tempêtes. Cette fois il avait été avec sa femme bien près du naufrage ; et à cette heure encore tout péril n’était pas passé. Il savait que Claire était détachée de lui, toute à l’enfant, le seul lien entre eux désormais. Cet éloignement la lui faisait paraître plus belle, plus désirable ; et il mettait à la reprendre tout son art de séduction. Il sentait combien ce serait difficile et qu’il n’avait pas affaire à une âme banale. Pourtant il ne désespérait pas. Parfois, au fond du regard si doux et en apparence si impassible qui contemplait ses efforts, une lueur vague lui disait d’espérer.

Quant à Sidonie, il n’y pensait plus. Et qu’on ne s’étonne pas de cette prompte rupture morale. Ces deux êtres superficiels n’avaient rien qui pût les attacher profondément l’un à l’autre. Georges était incapable d’éprouver des impressions durables, à moins qu’elles fussent sans cesse renouvelées ; Sidonie, de son côté, ne pouvait rien inspirer de tenace ou de grand. C’était un de ces amours de cocotte à gandin, faits de vanités, de dépits d’amour-propre, n’inspirant ni dévouement ni constance, seulement des aventures tragiques, des duels, des suicides d’où l’on revient presque toujours et d’où l’on revient guéri. Peut-être que, s’il l’avait revue, il aurait été repris de son mal : mais le coup de vent de la fuite avait emporté Sidonie trop vite et trop