Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/70

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floraisons, avait son allée, son arbre, son banc favori pour lire. La cloche du repas venait toujours la surprendre au fond de la propriété. Elle arrivait à table, essoufflée, contente, baignée de grand air. L’ombre des charmilles, à force de glisser sur ce jeune front, y avait mis comme une douceur mélancolique, et le vert profond des pièces d’eau traversé de rayons vagues se retrouvait dans ses grands yeux. Cette belle campagne l’avait réellement défendue de la vulgarité, de la bassesse du milieu. M. Gardinois pouvait déplorer devant elle, pendant des heures, la perversité des fournisseurs, des domestiques, faire le compte de ce qu’on lui volait par mois, par semaine, par jour, par minute ; madame Fromont pouvait énumérer ses griefs contre les souris, les mites, la poussière, l’humidité, toutes acharnées à la destruction de ses effets, conjurées contre ses armoires, pas une syllabe de ces conversations idiotes ne restait dans l’esprit de Claire. Une course autour de la pelouse, une lecture au bord de la pièce d’eau avaient tout de suite rendu le calme à cette âme généreuse et bien vivante.

Son grand-père la regardait comme une créature étrange, tout à fait déplacée dans sa famille. Enfant, elle le gênait par ses grands yeux clairs, son sens droit de toutes choses, et aussi parce qu’il ne retrouvait pas en elle, sa fille soumise et passive.

– Ça sera une fiérotte et une originale comme son père, disait-il dans ses jours de mauvaise humeur.

Combien elle lui plaisait davantage, cette petite Chèbe qui venait de temps en temps jouer dans les allées