Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/73

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donné d’autre gage que sa parole. Mais celui-là parti, qui sait si elle ne le regretterait pas ?

Dans cette petite tête affolée d’ambition, les idées les plus étranges se heurtaient. Quelquefois, pendant que le grand-père Gardinois, qui avait quitté en son honneur ses antiques vestes de chasse et ses gilets de molleton, la plaisantait, s’amusait à la contredire pour s’attirer quelque riposte un peu salée, elle le regardait sans répondre, fixement, froidement, jusqu’au fond des yeux. Ah ! s’il avait eu seulement dix ans de moins… Mais cette pensée de devenir madame Gardinois ne l’arrêta pas longtemps. Un nouveau personnage, une nouvelle espérance venaient d’entrer dans sa vie.

Depuis l’arrivée de Sidonie, Georges Fromont, qu’on ne voyait guère à Savigny que le dimanche, avait pris l’habitude d’y venir dîner presque tous les jours. C’était un grand garçon frêle, pâle, de tournure élégante. Orphelin de père et de mère, élevé par son oncle, M. Fromont, il était appelé à lui succéder dans son commerce, et vraisemblablement aussi à devenir le mari de Claire. Cet avenir tout fait le laissait assez froid. D’abord le commerce l’ennuyait. Quant à sa cousine, il existait entre eux l’intimité bon enfant d’une éducation en commun, une confiance d’habitude, mais rien de plus, du moins de son côté.

Avec Sidonie, au contraire, il se sentit tout de suite gêné, timide, et en même temps désireux de faire de l’effet, tout changé. Elle avait justement la grâce frelatée, un peu fille, qui devait plaire à cette nature de gandin, et