Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en plein repas de noces ! – Pourtant il en avait bien envie. Son bonheur l’étouffait, le tenait par la gorge, empêchait les mots de sortir. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était de murmurer de temps en temps avec un petit tremblement de lèvres : « Je suis content… Je suis content… »

Il avait de quoi l’être, en effet. Depuis le matin, le pauvre homme se croyait emporté par un de ces rêves magnifiques dont on craint de se réveiller subitement, les yeux éblouis : mais son rêve, à lui, ne semblait jamais devoir finir. Cela avait commencé à cinq heures du matin, et à dix heures du soir, dix heures très précises à l’horloge de Véfour, cela durait encore…

Que de choses dans cette journée, et comme les moindres détails lui restaient présents ! Il se voyait au petit jour, arpentant sa chambre de vieux garçon dans une joie mêlée d’impatience, la barbe déjà faite, l’habit passé, deux paires de gants blancs en poche… Maintenant voici les voitures de gala, et dans la première là-bas, celle qui a des chevaux blancs, des guides blanches, une doublure de damas jaune, la parure de la mariée s’apercevant comme un nuage… Puis l’entrée à l’église, deux par deux, toujours le petit nuage blanc en tête, flottant, léger, éblouissant… L’orgue, le suisse, le sermon du curé, les cierges éclairant des bijoux, des toilettes de printemps… et cette poussée de monde à la sacristie, le petit nuage blanc, perdu, noyé, entouré, embrassé, pendant que le marié distribue des poignées de mains à tout le haut