Page:Daudet - Jack, I.djvu/143

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Ce n’est pas qu’il fût très épris de la comtesse. On eût pu dire plutôt qu’il s’aimait en elle, et qu’en voyant dans ses yeux limpides et naïfs son image reflétée en beau, il s’arrêtait complaisamment avec le sourire égoïste que jette toute femme à la glace qui la fait jolie. Mais d’Argenton aurait voulu que la glace ne fût ternie d’aucun souffle, qu’elle n’eût jamais reflété que lui, au lieu de conserver, dans l’ombre du passé, le souvenir offensant de beaucoup d’autres images.

Cela, c’était irrémédiable. La pauvre Ida n’y pouvait rien, à part le regret qu’elles expriment toutes : « Pourquoi t’ai-je rencontré si tard ? » ce qui n’est pas fait pour calmer les tortures de cette singulière jalousie rétrospective, surtout lorsqu’elle est doublée d’un orgueil extraordinaire.

« Elle aurait dû me pressentir, » pensait d’Argenton ; et de là venait la colère sourde que la vue seule de l’enfant excitait en lui.

Elle ne pouvait pas pourtant le renier, l’abandonner ce cher passé aux cheveux d’or. Mais peu à peu, sous l’influence du poëte, pour éviter ces rencontres pénibles où chacun souffrait de la gêne des autres, elle prit l’habitude de faire sortir Jack un peu moins souvent et d’abréger, elle aussi, ses visites au gymnase. Elle entrait déjà dans la voie des sacrifices, et celui-là n’était pas le moindre.

Quant à l’hôtel, à la voiture, à ce luxe où elle vi-