Page:Daudet - Jack, I.djvu/164

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le pays de Mâdou-Ghézô ne le tentait pas. Le grand bassin de cuivre rouge rempli de têtes coupées lui revenait sinistrement à la mémoire. Et puis, il serait encore plus loin de sa mère.

— Bon, dit le nègre tranquillement, toi rester gymnase, moi partir tout seul.

— Et quand partiras-tu ?

— Demain, répondit le nègre d’une voix résolue, et tout de suite il ferma les yeux pour s’endormir, comme s’il eût eu besoin de toutes ses forces.

Le lendemain matin, c’était « jour de méthode, » comme on disait au gymnase. Ce jour-là, on se réunissait pour le cours de madame Decostère dans le grand salon, à cause de l’orgue-harmonium nécessaire à la lecture expressive. En entrant, Jack aperçut Mâdou en train de frotter silencieusement l’immense salle, et pensa qu’il avait renoncé à son voyage.

Il y avait une heure ou deux que les « petits pays chauds » travaillaient et se décrochaient la mâchoire pour la « configuration des mots, » quand la tête de Moronval apparut à la porte entre-bâillée.

— Mâdou n’est pas ici ?

— Non, mon ami, répondit madame Moronval-Decostère, je l’ai envoyé au marché pour la provision.

Ce mot de provision amena sur tous ces visages d’enfant une telle expression de bonheur, qu’ils auraient pu donner tout de suite la configuration exacte de ce vocable, si on la leur avait demandée. Ils étaient