Page:Daudet - Jack, I.djvu/175

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duite sous les ponts où le vent souffle, derrière les barrières de théâtre parmi les débris du dîner de la queue.

Favorisé par sa petitesse et sa couleur noire, il avait pu se glisser partout, et partout c’était habité. Il avait senti le vice le frôler de ses ailes visqueuses et silencieuses d’oiseau de nuit ; il avait mangé le pain des voleurs, car les voleurs sont quelquefois charitables. Il avait assisté à des partages nocturnes, à des réveillons d’assassins dans des caves de bâtisses, dormi son sommeil d’enfant à côté du rêve d’un escarpe. Mais que lui importait à lui ? Il cherchait son grigri et passait à travers toutes les infamies sans les voir.

Dans l’immense bas-fond parisien, le petit roi restait paisible comme dans les forêts où Kérika l’emmenait camper pendant les grandes chasses, alors que, réveillé la nuit par des beuglements d’éléphants, d’hippopotames, il voyait, sous les arbres gigantesques vaguement éclairés, des formes monstrueuses rôder autour du bivouac et qu’il sentait des ondulations de reptiles passer sous les feuilles près de lui. Mais Paris est autrement terrible avec ses monstres que toutes les forêts d’Afrique ; — le négrillon aurait eu bien peur, s’il avait vu, s’il avait compris. Heureusement la pensée de son grigri l’occupait tout entier, et ici comme dans les chasses lointaines, la protection de Kérika s’étendait sur lui…

— C’est fini, Mâdou !