Page:Daudet - Jack, I.djvu/209

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Un bruit épouvantable le réveille en sursaut. Qu’est-ce encore que cela ? Les yeux à peine ouverts, sur un talus à quelques mètres de lui, Jack voit passer quelque chose de monstrueux, de terrible, une bête hurlante, sifflante, avec deux énormes yeux bombés et sanglant, et de longs anneaux noirs qui se déroulent en faisant jaillir des étincelles. Le monstre fuit dans la nuit, comme la traînée d’une immense comète dont le rayon fendrait l’air avec un vacarme effroyable. Aux endroits où il passe, la nuit s’ouvre, se déchire, on aperçoit un poteau, un bouquet d’arbres ; l’ombre se referme à mesure, et ce n’est que lorsque l’apparition est déjà loin, lorsqu’on ne voit plus rien d’elle qu’une petite flamme verte, que l’enfant a reconnu le passage d’un train express de nuit.

Quelle heure est-il ? Où est-il ? Combien de temps a-t-il dormi ? Il n’en sait rien ; mais ce sommeil lui a fait du mal. Il s’est réveillé tout transi, les membres raides, le cœur horriblement serré. Il a rêvé de Mâdou… Oh ! le moment terrible où le rêve, envolé au réveil, revient à la mémoire si poignant et si réel. L’humidité du sol le pénétrant, Jack a rêvé qu’il était couché là-bas dans le cimetière à côté du petit roi. Il frissonne encore de ce froid de la terre : un froid lourd, sans air. Il voit la figure de Mâdou, il sent ce petit corps glacé contre le sien. Pour échapper à l’obsession, il se lève, mais sur la route que le vent de la nuit a séchée et durcie, son pas résonne si fort, qu’il le