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Page:Daudet - Jack, I.djvu/249

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per son pain en longues tranches énormes qu’il fourrait dans sa bouche par travers pour pouvoir les faire entrer.

— C’est bon, hein ?

— Oh ! oui, bien bon.

Dehors, la pluie battait les vitres, l’orage grondait. L’homme et l’enfant parlaient, enveloppés du bien-être que donne le sentiment de l’abri. Le marchand racontait qu’il s’appelait Bélisaire, qu’il était l’aîné d’une nombreuse famille. Ils habitaient rue des Juifs à Paris, lui, son père, ses trois frères et ses quatre sœurs. Tout ce monde-là fabriquait des chapeaux de paille pour l’été, des casquettes pour l’hiver ; et, la marchandise prête, les uns couraient les faubourgs, les autres la province, pour la colporter et la vendre.

— Et vous allez loin ? demanda Jack.

— Jusqu’à Nantes, où j’ai une de mes sœurs établie… Je passe par Montargis, Orléans, la Touraine, l’Anjou…

— Ça doit bien vous fatiguer, vous qui marchez péniblement ?

— C’est vrai… Je n’ai un peu de soulagement que le soir quand je les quitte, ces malheureux souliers ; et encore mon plaisir est gâté par la pensée qu’il faudra les remettre.

— Mais pourquoi vos frères ne voyagent-ils pas à votre place ?

— Ils sont encore trop jeunes ; et puis le vieux