Page:Daudet - Jack, I.djvu/251

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terre avec son étrange convive et la table servie. En tout cas, il n’en aurait pas eu le temps ; car le poëte entra aussitôt, promena son œil froid dans la salle, et comprit tout. L’enfant balbutia quelques mots pour s’excuser, pour expliquer… mais l’autre ne l’écouta pas :

— Charlotte, viens donc voir. Tu ne m’avais pas dit que M. Jack avait du monde aujourd’hui. Monsieur reçoit. Monsieur traite ses amis.

— Oh ! Jack, Jack… fit la mère d’un ton de reproche.

— Ne le grondez pas, madame, essaya de dire Bélisaire. C’est moi qui…

D’Argenton, furieux, ouvrit la porte, et la montrant au misérable d’un geste noble :

— Vous, d’abord, faites-moi le plaisir de vous taire et de déguerpir au plus vite, espèce de vagabond. Sinon, je vous fais coffrer pour vous apprendre à vous introduire dans les maisons.

Bélisaire, que son métier de forain avait habitué à toutes les humiliations, ne protesta pas, agrafa son panier bien vite, jeta un regard triste aux vitres ruisselantes, un autre regard plein de reconnaissance au petit Jack, se pencha de travers pour saluer humblement, bien humblement, et garda cette attitude courbée en franchissant le seuil éclaboussé d’une pluie rebondissante qui, sur les panamas, fit un pétillement de grêle. Dehors même, il ne songea pas à se redres-