Page:Daudet - Jack, I.djvu/292

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— Et tu as fait cela, tout seul, sans modèle ?

Il répondit très timidement :

— Mais oui, monsieur Labassindre, sans modèle.

— C’est extraordinaire… extraordinaire, répétait le gros chanteur en se tournant vers les autres… Cet enfant est né mécanicien, c’est positif. Il a ça dans les doigts. Qu’est-ce que vous voulez ? C’est l’instinct, c’est le don.

— Ah ! voilà… le don ! fit le poëte en redressant fièrement la tête.

Le docteur Hirsch se rengorgea lui aussi :

— Tout est là, parbleu !… le don !

Sans s’occuper davantage de l’enfant, ils recommencèrent à se promener ensemble dans l’allée du verger, gravement, lentement, avec des gestes hiératiques et des haltes quand l’un d’eux avait quelque chose de très important à dire.

Le soir, après dîner, il y eut une grande discussion sur la terrasse.

— Oui, comtesse, disait Labassindre en s’adressant à Charlotte comme s’il eût voulu la convaincre d’une vérité déjà débattue entre eux : l’homme de l’avenir, c’est l’ouvrier. La noblesse a fait son temps, la bourgeoisie n’a plus que quelques années dans le ventre. Au tour de l’ouvrier maintenant. Méprisez ses mains calleuses et son bourgeron sacré. Dans vingt ans, ce bourgeron mènera le monde.