Page:Daudet - Jack, I.djvu/43

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Le directeur du gymnase Moronval promenait ses « petits pays chauds, » comme il les appelait, et les allées et venues de cette pension polychrome, le décousu de ses occupations, la tournure étonnante des professeurs complétaient bien la physionomie étrange du passage des Douze-Maisons.

Certainement, si madame de Barancy était venue elle-même conduire son enfant au gymnase, la vue de cette cour des Miracles, qu’il fallait traverser pour arriver à l’institution, l’aurait épouvantée, et jamais elle n’eût consenti à laisser son « cher petit être » dans un pareil cloaque. Mais sa visite aux jésuites avait été si malheureuse, l’accueil si différent de celui qu’elle attendait, que la pauvre créature, très timide au fond et facile à décontenancer, avait craint quelque humiliation nouvelle et laissé à mademoiselle Constant, sa femme de chambre, le soin de placer Jack dans le pensionnat que les gens de l’office venaient de lui choisir.

Ce fut par une triste matinée froide et neigeuse que la voiture d’Ida s’arrêta avenue Montaigne, en face de l’enseigne dorée du gymnase Moronval.

Le passage était désert, le réverbère grinçait sur sa corde, et les ais des masures, les paperasses qui leur servaient de carreaux, tout avait l’aspect moisi, disjoint, effondré, que donne une inondation récente ou le voisinage d’un canal dont les quais sont encore à faire.

Le hardi factotum s’avançait bravement, l’enfant d’une main, un parapluie de l’autre.