Page:Daudet - Jack, I.djvu/86

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cale, fut retrouvé à temps, se sauva encore, et cette fois avec tant de ruse, qu’on ne s’aperçut de sa présence sur le navire qu’au milieu du golfe du Lion. Un autre enfant, on l’aurait gardé à bord ; mais quand le nom de Mâdou fut connu, le capitaine, qui comptait sur une récompense, ramena Son Altesse Royale à Marseille.

Dès lors, il fut plus malheureux, surveillé, emprisonné ; mais sa persistance ne se ralentit guère. Malgré tout, il se sauvait encore, se cachait dans tous les bateaux en partance ; on le retrouvait au fond des chambres de chauffe, des soûtes à charbon, sous des amas de filets de pêche. Quand on le ramenait, il n’avait pas la moindre révolte, seulement un petit sourire triste, qui vous ôtait la force de le punir.

À la fin, le proviseur ne voulut plus garder la responsabilité d’un élève aussi subtil. Renvoyer le petit prince au Dahomey ? « Moucié Bonfils » ne l’osait pas, craignant de perdre les bonnes grâces de Rack-Mâdou-Ghézô, dont il connaissait le royal entêtement. C’est au milieu de ces perplexités que parut, dans le Sémaphore, l’annonce du gymnase Moronval. Aussitôt, le petit noir fut expédié, 25, avenue Montaigne, dans le plus beau quartier de Paris, où il fut — je vous prie de le croire — reçu à bras ouverts.

C’était la fortune du gymnase, et une réclame vivante, que ce petit héritier noir d’un royaume lointain. Aussi on l’exhiba, on le promena. M. Moronval