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Page:Daudet - Jack, II.djvu/157

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en suivant son élan direct, elle eût atteint quelqu’un qui lui était bien cher, l’être faible et si léger, seul responsable de son désastre, toute sa fureur se tourna contre l’horrible vieille.

— Ah ! vipère, pensa-t-il, je m’en vais t’arracher les crocs.

Il avait une figure si terrible qu’en le voyant venir vers elle, la Salé prit peur, jeta son fagot et s’élança dans le bois avec une vitesse de vieille chèvre. C’était la revanche des anciennes « chasses » d’autrefois. Il la poursuivit pendant quelques pas, puis s’arrêta subitement.

— « Je suis fou… Cette femme ne m’a rien dit que de très vrai, après tout… Cécile ne voudrait plus de moi maintenant. »

Ce soir-là, il ne dîna pas ; il n’alluma ni feu ni lampe. Assis dans un coin de la salle à manger, la seule pièce qu’il habitât et où il avait réuni les quelques meubles dispersés par toute la maison, les yeux fixés sur la porte vitrée derrière laquelle le brouillard léger d’une belle nuit d’automne blanchissait sous la marche invisible de la lune, il songeait :

« Cécile ne voudrait plus de moi. »

Cela seul remplit sa veillée.

Elle ne voudrait plus de lui. Tout les séparait en effet. D’abord il était ouvrier, et puis… L’affreux mot lui vint aux lèvres : « bâtard… » C’était la première fois de sa vie qu’il y pensait. Enfant, ces choses-là