Page:Daudet - Jack, II.djvu/159

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Il se répétait cette phrase à lui-même comme si ce titre le rapprochait de Cécile. Le pauvre enfant ignorait que toutes les vanités du monde ne valent pas, pour toucher un vrai cœur de femme, la pitié qui l’entr’ouvre à toutes les tendresses.

« Je vais écrire à ma mère » pensa-t-il. Mais ce qu’il y avait à demander était si délicat, si compliqué, si difficile à dire, qu’il résolut d’aller trouver Charlotte, d’avoir avec elle une de ces conversations où les yeux aident les paroles, où les sous-entendus des aveux se traduisent dans un silence souvent plus éloquent que les mots. Malheureusement il n’avait pas assez d’argent pour prendre le chemin de fer. Sa mère devait lui en envoyer ; elle n’y avait plus pensé sans doute.

— « Bah ! se dit-il, j’ai fait la route à pied quand j’avais onze ans. Je la referai bien à présent, quoique je sois un peu faible. »

Il la refit en effet, le lendemain, cette terrible route ; et si elle lui parut moins longue et moins effrayante, il la trouva aussi bien plus triste. C’est une impression bien fréquente que ce désenchantement des souvenirs d’enfance retrouvés à l’âge où tout se juge et se raisonne. On dirait qu’il y a dans les yeux de l’enfant une matière colorante qui dure autant que l’ignorance de ses premiers regards ; à mesure qu’il grandit, tout se ternit de ce qu’il admirait. Les poëtes sont des hommes qui ont gardé leurs yeux d’enfants.

Jack vit l’endroit où il avait dormi, la petite grille