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Page:Daudet - Jack, II.djvu/197

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élever cette enfant, l’élever à la maison en lui laissant ignorer le malheur de sa naissance. Terrible tâche que nous nous étions donnée là. Nous étions, il est vrai, à jamais débarrassés du père, mort quelques mois après sa condamnation. Malheureusement deux ou trois personnes dans le pays savaient toute l’histoire. Il s’agissait de préserver Cécile d’un bavardage, et surtout d’une de ces cruautés naïves dont les enfants ont le secret, qu’ils débitent la bouche souriante et les yeux clairs, innocents délateurs de tout ce qu’ils entendent. Tu sais comme la petite était solitaire avant de te connaître. Grâce à cette précaution, elle ignore encore maintenant dans quelle effroyable tempête elle est née. On lui a dit seulement qu’elle était orpheline, et, pour lui expliquer ce nom de Rivals qu’elle porte, que sa mère s’était mariée dans la famille.

C’est égal, n’est-ce pas une preuve qu’il y a bien des braves gens en ce monde, que cette entente tacite de tout un petit pays si bavard d’habitude et si cancannier ? Parmi ceux qui savaient notre malheur, il ne s’est trouvé personne pour faire devant Cécile la moindre allusion désolante, pour prononcer même un mot qui eût pu lui donner l’éveil sur le drame qui s’est joué autour de son berceau. Cela n’empêchait pas la pauvre grand’mère d’être dans des transes continuelles. Elle avait peur surtout des questions de l’enfant, et je les craignais comme elle ; mais j’avais des préoccupations autrement cruelles et profondes. Ces mystères de l’hé-