Page:Daudet - Jack, II.djvu/199

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— Elle n’aimera que nous. Elle ne se mariera pas, disait la grand’mère… Était-ce possible ? Et quand nous ne serions plus là ? Quelle tristesse et quel danger, avec une beauté pareille, de rester dans la vie sans protecteur ! Et pourtant comment faire ? On ne pouvait associer à cette destinée exceptionnelle qu’une destinée exceptionnelle aussi. Où la trouver ? Ce n’était pas dans un village où chaque famille s’étale au grand air, au grand jour, en espalier, où chacun se connaît, s’épie et se juge… À Paris, nous ne connaissions personne ; et puis, Paris, c’est le gouffre… C’est alors que ta mère vint s’installer dans le pays. On la croyait mariée avec ce d’Argenton ; mais lorsque je commençai à vous voir, la femme d’Archambauld m’avertit très secrètement de l’irrégularité du ménage. Ce fut pour moi une lumière. Je me dis, en te voyant : « Voilà le mari de Cécile. » Dès ce moment, je te considérai comme mon petit-fils, je commençai à t’élever, à t’instruire…

Oh ! lorsqu’après la leçon je vous voyais dans un coin de la pharmacie, si heureux, si unis, toi plus fort et plus grand qu’elle, elle, déjà plus raisonnable que toi, j’étais pris d’une émotion, d’une pitié tendre, devant l’amitié naissante qui vous attirait l’un vers l’autre. Et plus Cécile t’ouvrait sa petite âme naïve, plus ton intelligence se développait, allait, avide d’apprendre, aux belles et grandes choses, plus j’étais fier et content de mon idée. J’avais tout préparé dans